La science à l’épreuve des mauvaises langues, Annabelle KREMER-LECOINTRE

« Les experts scientifiques sont tout-puissants et corrompus ». « La science c’est la bombe atomique ». Et autres idées reçues sur la science et ceux qui la font vivre. C’est pour répondre à ce type de remarques qu’Annabelle Kremer-Lecointre a écrit cet essai ô combien utile en ces temps de relativisme excessif. Illustré par Arnaud Rafaelian qui ajoute sa touche humoristique, La science à l’épreuve des mauvaises langues est un ouvrage salutaire qu’il serait dommage de laisser passer.

Une démarche irréprochable

Pour ne pas prêter le flanc à la critique, Annabelle Kremer-Lecointre, enseignante en S.V.T., adopte une méthodologie irréprochable. Elle pose une phrase (dix au total pour 10 chapitres), et déroule sa démonstration, de façon claire et compréhensible, même par un nom scientifique tel que moi (mes professeurs de science ne s’arrachaient pas les cheveux devant mes copies, mais pas loin). Son style est fluide et les notions utilisées très abordables. Quand l’autrice ne peut faire l’impasse sur certains termes moins connus et plus complexes dans ce qu’ils sous-tendent, elle sait manier la comparaison avec efficacité. Ses exemples sont pour la plupart limpides et illustrent parfaitement l’idée analysée. Je peux paraître dithyrambique, mais j’ai vraiment été séduit par cette prose. J’ai déjà lu des essais de science et, parfois, je me suis retrouvé en difficulté à cause de mes notions très fragiles dans ce domaine.

Ici, cela n’a pas été le cas. Et pourtant, les sciences mises sur la sellette sont nombreuses, d’où les chances d’autant plus importantes de me perdre, et l’autrice ne se contente pas de saupoudrer des idées et de les survoler. Après avoir posé le cadre, elle approfondit et explique avec force citations. Une autre qualité de ce livre : Annabelle Kremer-Lecointre s’appuie sur un corpus solide et varié. Qui permet de balayer large et d’étayer solidement la défense d’une science attaquée de toutes parts aujourd’hui.

Au secours des sciences

Car la science, si elle a été portée au pinacle lors du XXe siècle est aujourd’hui remise en cause quotidiennement. Voilà quelques dizaines d’années (et encore de nos jours pour certains), elle était la remplaçante des dieux : capable à un moment ou à un autre de guérir tous les mots, de résoudre tous les problèmes, elle était considérée comme le summum. Et puis elle a été rattrapée par ses limites. Non, la médecine ne peut pas faire de miracle : elle ne peut nous rendre immortels ; elle ne peut empêcher les accidents. Non, les sciences, dans leur ensemble, malgré leurs progrès phénoménaux, malgré les services immenses rendus au quotidien, ne peuvent sauver l’humanité d’elle-même. Il nous faut faire quelques efforts et cesser de nous comporter comme des enfants gâtés brisant leurs jouets, persuadés qu’un parent bienveillant viendra le réparer ou le remplacer. Et oui, la science est une construction humaine, donc sujette aux erreurs. Certaines catastrophiques. Et l’autrice ne fait pas l’impasse là-dessus, bien au contraire. Cela fait partie de sa démonstration : c’est ainsi que les progrès se font.

« La science peut se tromper. Mais elle est capable de constater qu’elle se trompe. Elle peut corriger ses erreurs. La science n’est pas vraie. Elle est vérifiable. La science n’est pas parfaite. Elle est perfectible. La science n’est pas définitive. Elle est en constante construction. » Le scientifique et philosophe Jean-Claude Baudet nous rappelle que la science est aux antipodes des absolus.

En attendant, l’image de la science est sortie ternie de cette prise de conscience. De plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en cause les avancées des siècles passés. On connaît les platistes dont on aime se moquer avec un sourire supérieur. Mais combien d’autres critiques fleurissent dans notre entourage, plus insidieuses, plus dévastatrices à long terme. D’où l’intérêt de cet essai. Car Annabelle Kremer-Lecointre prend dix de ces idées reçues, de ces phrases qu’on entend au détour d’une conversation. Et elle les explique et en démontre la fausseté dans des raisonnements imparables et clairs. Donc réutilisables pour affirmer son point de vue. Une aide bienvenue quand les attaques, qui semblent parfois tellement absurdes qu’on se demande comment elles se propagent avec un si grand succès, pullulent, en particulier dans les médias et les réseaux sociaux. Encore récemment, quelqu’un a de nouveau ressorti le mythe de l’adrénochrome, objet digne d’un roman de SF de qualité médiocre. Sans parler des chemtrails et autres fantasmes qui rebondissent de blog en chanson, de film en vidéo. Inquiétant…

Lire La science à l’épreuve des mauvaises langues est réconfortant. Voilà un ouvrage au ton posé, aux idées clairement exposées et aux théories solidement démontrées. Une pause bienvenue dans un monde où une information en chasse une autre sans avoir eu le temps d’être vérifiée et expliquée, où l’un des plus grands intérêts est de faire parler de soi à tout prix, quitte à tordre la vérité. Un bon bouquin dont j’espère qu’il sera lu et partagé par beaucoup de monde.

Présentation de l’éditeur : « La science, c’est une affaire de génies. » « S’il n’y a pas d’expériences, ce n’est pas de la science. » « Les scientifiques se trompent, on ne peut pas leur faire confiance. » « Les experts scientifiques sont tout-puissants et corrompus. » Voici quelques-unes des 10 idées reçues sur la science qu’Annabelle Kremer-Lecointre décortique à la loupe dans ce livre salutaire et indispensable. En ces temps de méfiance, parfois même de défiance envers la science, elle revient aux fondamentaux et nous explique comment se fait la science : en suivant une méthode rigoureuse et solide. Ce livre donnera des réponses aux enseignants parfois désorientés par des élèves mettant en question le contenu de leur cours et, pour tous les lecteurs, des arguments pour débattre sereinement de science en société. Les illustrations d’Arnaud Rafaelian apportent à cet ouvrage la touche d’humour qui permet d’en saisir le contenu avec le sourire.

Delachaux et Niestlé – 3 février 2023 (essai– 208 pages – Illustrations : Arnaud Rafaelian – 22,90 euros)

Merci aux éditions Delachaux et Niestlé et à l’opération Masse critique de Babelio pour ce SP.

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8 réflexions sur “La science à l’épreuve des mauvaises langues, Annabelle KREMER-LECOINTRE

  1. Si l’utilité de l’ouvrage et l’intérêt de la démarche me paraissent évidents. Ma crainte est que les « anti-sciences » (gros raccourcis) ne liront pas ce livre.
    Tous les « anti-sciences » (antivax, platistes…) avec qui j’ai échangé sont dans la croyance. Face à la démonstration scientifique, la réponse est souvent « Oui, mais je crois plutôt cette version de… »

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    1. Je suis bien d’accord avec toi, ils ne le liront pas. Mais cela donne des arguments solides à ceux qui ne pensent pas comme eux et tentent (peut-être en vain) de discuter avec eux. Car tu as raison, c’est plus de l’ordre de la croyance à ce niveau là.

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  2. Voilà le genre d’ouvrages qui est indispensable aujourd’hui, à l’heure où la désinformation a une audience inouïe et où la science fait l’objet d’une défiance accrue chez les jeunes.
    Je me le note, cela me donnera des arguments aussi s’il m’arrive d’avoir une conversation avec des sceptiques/antis/complotistes etc. etc., même si je pense que ça finirait en dialogue de sourds. Je me souviens avoir eu un jour une conversation mémorable avec un platiste… enfin si on peut appeler ça une conversation.
    Car je rejoins Thomas : ceux qui auraient le plus besoin de lire ce livre ne le feront pas. Car non seulement leurs propos relèvent de la croyance, mais ces « discours de la raison » génèrent une répulsion phénoménale chez ces personnes qui considèrent cette parole comme « vendue », « propagandiste » etc.
    Malgré tout, remettre un peu de raison et de bon sens ne fait jamais de mal dans le brouhaha ambiant… ! Ca soulage aussi, de se dire que tout le monde n’est pas encore tombé sur la tête…
    Merci pour cet éclairage sur cet ouvrage intéressant.

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    1. Désolé pour le retard : je cours après le temps ces jours-ci.
      Oui, il m’a fait découvrir pas mal de savant.e.s passionnants et m’a donné des arguments pour contrer certains commentaires vraiment trop insupportables.

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