Ève et Adam, Laurent QUINTREAU

UUU UCU UAU UGU AUU ACU AAU AGU…

Non, l’auteur de ces lignes n’a pas succombé à une démence précoce. Ces quelques regroupements de lettres sont des exemples de combinaisons donnant naissance aux soixante-quatre codons du code génétique. Ils sont donc à la base de tous les êtres humains. De toutes leurs différences, leurs ressemblances, leurs particularités. Et c’est avec eux que Laurent Quintreau a joué dans Ève et Adam, un roman qui nous entraîne du XIXe au XXIe siècle à la suite de membres de la famille Marcheville-Froissart.

Huit générations

Comme avait pu le faire Lionel Shriver dans Les Mandible : Une famille, 2029-2047, mais avec une plus grande amplitude, Laurent Quintreau nous convie donc à l’évolution d’une famille à travers les époques, à travers les âges. Et à travers le destin de certaines de ses représentantes. J’ai mis ce dernier nom au féminin car, même si les hommes ne sont pas absents de ce roman, ce sont les femmes qui tiennent le rôle principal, comme le montre le titre. Adam y est détrôné de son habituelle première place au détriment de celle que l’histoire a longtemps cantonné à la place de subalterne. Ne viendrait-elle pas d’une côte de son compagnon ? Eh bien Laurent Quintreau redore son blason et lui assigne le rôle central. N’est-ce pas elle qui porte le représentant de la génération suivante ?

Il n’hésite pas non plus à montrer toute la violence que les femmes ont pu subir. Louison Blanchard, la source du récit, se fait proprement violer par son patron. Comportement hélas bien fréquent en cette fin de XIXe siècle. Mais elle ne se laisse pas faire par la suite et, malgré sa condition sociale bien inférieure (elle n’est qu’une jeune ouvrière sans qualification, sans fortune, dans une société hyper hiérarchisée), elle parvient à tirer une petite épingle du jeu. Le ton est donné : Laurent Quintreau ne reculera devant aucune difficulté. Il se permettra, tout au long d’Ève et Adam, de parler de situations scabreuses voire dramatiques avec un ton léger. Mais sans moquerie. Sans mettre de côté la violence de certains actes. Juste avec cette petite dose d’humour qui permet de supporter l’insupportable. Et d’aborder malgré tout des thèmes sensibles.

Chacun porte avec soi, dans ses traits et dans sa démarche, tout ce qu’il est, les ouvrières leur misère, les employés leur ambition, les patrons le sentiment de leur importance, les gueules cassées l’horreur de la guerre.

Une base scientifique

D’ailleurs, on voit bien ce parti pris lors des descriptions de l’acte sexuel qui amène à la naissance du futur ou de la future héritière. On assiste de manière très scientifique, de conception en conception, à l’entièreté du phénomène : de la bataille des spermatozoïdes à la fusion des deux gamètes. Et cela, avec moult précisions scientifiques. Je dois avouer que je ne connaissais pas tout : la méiose, les gamètes haploïdes étaient des mots que j’avais entendus sans savoir quoi en faire. L’auteur les utilise naturellement, sans ostentation, par petites touches, pour expliquer la répartition des traits physiques, des traits de caractère. L’origine de ces ressemblances ou différences qu’on adore trouver entre les membres d’une même famille. Qui n’a pas entendu à la naissance d’un enfant qu’il ressemblait à son père, à sa mère, à ses grands-parents, à ses oncles ou tantes. Bon, un peu à tout le monde selon la lumière et l’inspiration. Les envies aussi. Il explique ainsi en partie l’évolution des personnages. Émile Zola, quand il a écrit sa gigantesque fresque des Rougon-Macquart, voulait faire œuvre scientifique. Chaque famille possédait des traits de caractères héréditaires. En mélangeant des représentants de chacune des deux, il s’offrait des possibilités de narration (et de moralisation) dont on voit le résultat.

Laurent Quintreau est moins ambitieux, mais plus avancé sur le plan de la science. Même si l’on ne sait pas encore tout, on a grandement progressé sur la connaissance des mécanismes en jeu et sur les transmissions de caractéristiques. Laurent Quintreau pense sans doute que la science permettra de tout comprendre, un jour ou l’autre : « à quelle loi du désir obéit l’attirance des couples : si la littérature et toutes les méthodes d’observation n’ont jamais réussi à nous l’expliquer, la science de l’infiniment petit finira bien par en percer le mystère. ». Il renouvelle donc ce motif, dans un registre plus léger, comme je le disais plus haut, mais pas moins profond par certaines réflexions et constatations. Diane Doucet, la dernière à venir dans l’ouvrage, choisit de ne pas continuer l’aventure de cette famille : « Elle n’aura aucune descendance, et ce sera mieux ainsi. » Constat un peu amer sur l’évolution des couples. Mais sans plongée dans la nostalgie d’un passé idéalisé (rappelons-nous ce qui arrive à Louison Blanchard).

Je ne connaissais par Laurent Quintreau et je suis allé vers ce roman pour sa petite part d’anticipation. Je ne le regrette en aucune façon tant j’ai apprécié la plume de l’auteur, son ton à la fois désinvolte et impliqué. J’ai adoré suivre les pensées et les aventures des membres de cette famille disparate, certains attachants, d’autres détestables. J’ai aimé ce miroir qui offre une image, subjective mais recevable, des liens qui nous ont unis, nous unissent et nous uniront encore par-delà les années.

Présentation de l’éditeur : Et si toute famille n’était que le produit d’une union hasardeuse de gamètes ? Le destin de la famille des Marcheville-Froissart nous est ici raconté à partir des épisodes sexuels souvent crus, parfois violents, toujours imprévisibles qui ont conduit à la naissance de ses membres de 1852 à 2046. Qu’il s’agisse du désir partagé ou non, du droit de cuissage, de l’adultère, du sexe cool, du mariage pour tous, du matching génétique, le lecteur est témoin de l’évolution des mœurs et des renversements sociétaux qui ont conduit de la domination masculine à l’après Me Too. Avec un sens aigu du suspense romanesque, Laurent Quintreau nous livre une fresque intergénérationnelle originale et puissante qui confirme son talent de conteur.

Rivages, collection « Littérature française » – 6 janvier 2023 (roman inédit– 528 pages – 23 euros / numérique – 16,99 euros)

Merci aux éditions Rivages (à Alain Deroudilhe) pour ce SP.

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