Étoiles vives 9, sous la direction d’André-François RUAUD

Dernier numéro d’Étoiles vives, anthologie périodique (1997-2002, dirigée au départ par Thomas Day / Gilles Dumay, puis par André-François Ruaud) inégale mais pleine de bonnes surprises. Ce volume est paru en 2002, sous la houlette d’André-François Ruaud donc, qui explique dans la préface pourquoi il arrête : faillite de distributeurs et autres joyeusetés, et volonté du sus-dit André-François Ruaud de consacrer davantage de temps à l’écriture. Ce numéro ne comporte que des nouvelles, pas de critique ou autre rubrique.

Sept nouvelles, donc.

« Le roi des aulnes » (1993), d’Elizabeth Hand : L’histoire se déroule à Kamensic Village, le lieu fétiche de cette autrice. Deux jeunes amies : Haley, la tête sur les épaules, et Linette, plus évaporée, plus rêveuse. Un peu dans le même monde que sa mère, Aurora, ancienne membre de la Factory, ce rassemblement autour de Warhol et d’autres artistes (plus ou moins), tous tombés, alors, dans l’oubli, la vieillesse ou la mort. Aurora passe beaucoup de temps à boire et vivre dans le passé. Linette et Haley vont aller chez leur voisin, qui vient d’arriver, chercher un animal de compagnie évadé. Un kinkajou (très mignons, les kinkajous, mais passent leur temps à dormir). Et elles vont rencontrer Lie Vagal, figure inquiétante venue du passé d’Aurora. Et avec lui, une malédiction.

Texte intéressant mais dans lequel j’ai eu du mal à entrer. Je ne sais si cela vient de moi, de l’autrice ou de la traductrice. Ou, peut-être, du temps qui a passé. Les références sont parfois tombées à plat. Les descriptions étaient un peu trop précieuses. Mais l’accélération sur la fin de la nouvelle, avec ce côté agressif de la nature, du décor, ces interrogations qui s’accroissent, m’a bien raccroché à l’histoire pour en sortir, finalement, plutôt satisfait.

« Au mois d’Athyr » (1992), d’Elizabeth Hand : nouvelle de science-fiction, cette fois-ci, toujours d’Elizabeth Hand. Elle était plus familière du fantastique que de la SF, et cela se ressent dans ce texte, poétique encore, mélancolique. Sur une station spatiale en orbite autour de la Terre vit une colonie proche d’une secte où les genres sont malmenés. Les femmes se transforment, volontairement, en hommes. Donc, plus de nouveaux bébés. Les derniers enfants ont droit à une éducation stricte, sous la férule du sévère père Dorothy. Pour assouvir les besoins sexuels, on a inventé des êtres plus ou moins humanoïdes, avec des côtés aviaires (marabout, essentiellement), très attirants. Parait-il, parce qu’en lisant les descriptions de cet être, j’ai eu du mal à me sentir émoustillé. Le jeune héros, Paul, lui, en rencontre un et se prend d’affection pour cet « argala ».

Comme pour la nouvelle précédente, j’ai eu du mal à accepter le style de l’autrice et le monde qu’elle décrit. Je suis sans doute trop éloigné de sa vision de l’autre, des sociétés. Donc, thème intéressant, mais trop peu d’implication.

« Xolotl » (2002), de Léa Silhol : une jeune fille a perdu sa mère. Son père lui offre, pour l’aider à remonter la pente, un animal venu d’une autre planète. Un monstre, dangereux selon certains. Mais la jeune fille se prend d’affection pour elle.

Une belle histoire, qui m’a touché. Le dénouement, surprenant, éclaire sous un autre jour tout ce court texte. L’autrice se montre sensible aux sentiments, aussi bien de la jeune humaine que de la créature extra-terrestre. On passe d’une pensée à l’autre, naturellement. Et cette dualité enrichit la nouvelle, la rend plus complète. Une belle lecture.

« Filles du voyage » (1998), d’Ellen Klages : première nouvelle d’Ellen Klages et succès immédiat, puisque nomination pour les prix Hugo et Nebula. Mais pas première publication, parce qu’auparavant, cette autrice avait écrit et publié des ouvrages de vulgarisation scientifique. Et je comprends les nominations. « Filles de voyage » est une histoire de voyage temporel gay friendly (avec quelques coups de pied bien sentis dans le patriarcat bienveillant), bien construite, bien menée, agréable à lire et que j’ai dévorée. Je connaissais l’autrice de nom mais n’avais rien lu d’elle. Cela va changer dès que je pourrai mettre la main sur un de ses ouvrages.

« Danse avec les morts » (2002), de Marie-Pierre Najman : court texte très sensible. Et en même temps effrayant quant à son propos. Une jeune fille, amoureuse de son amie depuis toujours, ne supporte pas l’irruption de David, jeune handicapé que sa mère a finalement équipé d’une prothèse qui lui permet de parler. Bizarrement, mais cela lui permet de communiquer. Peu à peu, la jeune narratrice va comprendre comment fonctionne cette « prothèse » et en concevoir un immense malaise. À juste titre.

« La Mirotte » (2002), de Sylvie Lainé : un homme, aveugle, va se faire implanter la mirotte, dispositif composé de caméras et d’une interface permettant au cerveau de traiter les images. Par contre, cette mirotte ne permet pas de recouvrer la vue. Selon les individus, elle crée des visions fantastiques, permet des effets de zoom. Elle aurait même permis à une femme de disparaître à la vue d’un expérimentateur pendant quelques instants. L’aveugle va tenter l’expérience et aller loin. Texte court, plus divertissant que prenant. Mais avec de belles images et des inventions intéressantes.

« Une autre façon de faire » (1996), de Molly Brown : nouvelle surprenante mais très efficace que j’ai bien appréciée et qui clôt agréablement cette anthologie. Un homme accepte d’aller, aidé par une I.A. bienveillante, sur une planète afin de la préparer et de la terraformer pour accueillir ensuite des milliers de colons. Mais tout ne va pas se passer comme prévu : finalement, il n’est pas seul sur la planète et les habitants vont avoir une réaction pour le moins traumatisante. Distrayant et en même temps, plein d’interrogations plutôt sensées.

C’est le premier Étoiles vives que je lis (je sais, j’ai commencé par le dernier numéro, mais pourquoi pas ?) et cela m’a donné envie de continuer. Il est toujours agréable de découvrir comme cela quelques bonnes surprises venues du passé (pas si lointain, mais quand même, le début du siècle). D’autant plus que, déjà en 2002, on s’intéressait aux autrices, combat toujours actuel pour une plus grande visibilité. Preuve qu’il faut du temps…

Présentation de l’éditeur : La femme est l’avenir de l’homme. Une nuit comme une autre à la Factory où Andy Warhol et sa suite s’amusent, se droguent et boivent du champagne à en crever. Une nuit comme une autre ? Pas si sûr… Un étranger est là, un gitan qui fait signer tous les convives sur un joli livre. Un gitan… ou le Roi des Aulnes ? Carol a réussi ! Elle a remonté le temps jusqu’en 1956. Son but ? Faire la connaissance de Sara Baxter Clarke afin de récupérer un article inédit qui ferait le point sur… la technique du voyage dans le temps. Sur la Station Teichman, le Père Dorothy prône le renversement des sexes, les femmes deviennent des hommes et les hommes se noient dans les paradis artificiels du sauna neural. Jusqu’à ce qu’un esclave sexuel, mi-femme mi-oiseau, fasse son apparition… Nouvel Eden est un monde-jungle peuplé d’oursons tout ce qu’il y a de mignons. Plutôt chouette, non ? Jusqu’à ce qu’ils décident de se suicider peu après l’arrivée du colon Josh Viner. Comment empêcher un auto-génocide planétaire ? Une question à laquelle Viner va devoir répondre, et rapidement. Pour son tout dernier volume, l’anthologie périodique Étoiles Vives explore de nombreuses facettes de l’humain dans un sommaire cent pour cent féminin. Avec en vedette l’autrice américaine Elizabeth Hand, à qui l’on doit le très étrange roman L’Éveil de la Lune, et qui nous offre ici deux longues nouvelles, l’une relevant de la fantasy, l’autre de la science-fiction — deux textes « coups de poing » qui naviguent aux frontières de l’horreur. Elle est accompagnée par trois françaises de grand talent — Léa Silhol pour « Xolotl », Sylvie Lainé pour « La Mirotte », et Marie-Pierre Najman pour « Danse avec les morts » — ainsi que par une nouvelle venue californienne, Ellen Klages, dont le texte « Filles du voyage » fut sélectionné aux prix Hugo et Nebula. Quant à notre amie Molly Brown, déjà au sommaire du premier numéro d’Étoiles Vives, elle clôt ce volume avec un récit poignant et explosif.

Le Bélial’ – 7 mars 2002 (7 nouvelles– 172 pages – 12 euros)

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