Dieu n’existe pas. Que dis-je, aucun dieu n’existe, qu’il soit unique ou qu’ils soient des dizaines à vivre en bande dans les nuages. Comment je le sais ? C’est l’un des créateurs de la Terre qui le dit. Raphaël, un Boueux, c’est à dire un larbin, sis au plus bas niveau de l’échelle de ces milliers d’êtres venus d’au-delà des étoiles pour créer notre monde.

Du travail à la chaîne
Raphaël et les autres Boueux (ceux qui mettent les mains dans le cambouis), tout comme les Vigiles ou les Scribes, appartiennent à une Ruche (dans un gigantesque vaisseau) en fin de parcours qui produit des mondes à la chaîne. Et on arrive au bout du bout de ce voyage. Cette Ruche (car il existe bien d’autres) a déjà créé des dizaines de mondes à l’équilibre idéal mais, sur la fin, difficile de se renouveler et de trouver sans cesse de nouvelles inspirations de qualité. Surtout avec un cahier des charges très exigeant. Il faut donc tirer sur la corde et le résultat final peut décevoir. La preuve, la Terre. Pas une réussite. Mais c’est compréhensible. Par contre, le résultat est tout de même inquiétant. Des conflits et des guerres à répétition, très loin du pourcentage de paix attendu dans le bon de commande. Aussi, pour tenter de rentrer dans les clous, les Scribes ont imaginé d’envoyer des Boueux sur Terre afin de procéder à de multiples petits changements, de petites rectifications (mettre en retard une jeune femme, voler une voiture, abattre un homme,…) destinés à empêcher les humains de s’imaginer trouver une preuve de l’existence d’un dieu quelconque. Car toute croyance amène le conflit. Bien évidemment, avec les équipes de bras cassés envoyées et la complexité du plan, aucune chance que cela fonctionne comme prévu.
Un humour bien dosé
L’effet coccinelle est drôle. Sans conteste. En tout cas, moi, j’ai souri souvent, voire je me suis esclaffé devant certains passages. Yann Bécu part d’une idée amusante et en tire un récit bien construit et solide, ce qui n’est pas toujours le cas quand on se laisse aller à un délire extra-terrestre, avec volonté de faire rire le lecteur. On a plus souvent droit à une série de sketchs plus ou moins réussis, reliés par une trame simpliste. Tout le monde n’a pas le talent de Fredric Brown ou de Douglas Adams (pour parler des grands anciens). Ici, même si on n’atteint pas le niveau de ces deux maîtres, le constat est plutôt flatteur pour l’auteur français. Le scénario est divisé en deux grandes parties. J’avoue que j’ai eu peur à la fin de la première, tant le changement m’a paru important. Mais l’auteur m’a heureusement rassuré et rapidement j’ai retrouvé mon rythme. De toute façon, cette histoire est une série, amusante, voire hilarante, de dégringolades, certaines attendues, d’autres originales.
Les personnages forment une bande de bras cassés, un peu caricaturaux pour certains, mais c’est aussi le propre de ce genre littéraire où on doit mettre en place des clichés, comme un gros clin d’œil aux lecteurs. Et dans ce cas, on a de quoi se régaler. Les trois Boueux proposent de tout, chacun peut y trouver son compte. Entre la grosse brute guidée uniquement par ses bas instincts (sexe, alcool et bagarres) et le poète [À propos de poète, grosse incise : j’ai particulièrement apprécié la place de Baudelaire dans ce roman. Et surtout cette hypothèse de sa disparition. Et les conséquences qui en découlent. Je m’arrête là pour ne pas gâcher la surprise, mais je me devais de signaler combien j’ai aimé cette idée.] embarrassé par ses missions brutales et sans logique apparente, plus plongé dans des souvenirs amoureux disparus mais ô combien présents dans sa mémoire. Sans parler de toute la faune qui les entoure, tous plus truculents les uns que les autres (les Bretons apprécieront sans doute leur représentant, heureusement peu représentatif).
Lire L’effet coccinelle m’a donc fait passer un moment très agréable, fait de détente et de sourires. La réflexion sur la religion fait long feu, car il n’y a pas de débat : les dieux sont des inventions, stupides et délétères de surcroît, car elles conduisent au chaos une planète et ses habitants. À déconseiller, donc, aux croyants accrochés à leurs dogmes. Mais à faire lire à ceux qui sont prêts à se laisser aller loin de notre quotidien parfois terne pour une plongée dans les arcanes de la création, pas bien reluisantes, mais foutraques à souhait.
Présentation de l’éditeur : Quand la preuve indubitable de l’existence de Dieu est publiée sur Terre, l’exaltation du premier soir est de courte durée : « Dieu existe », d’accord, mais au fait… lequel ? Le lancement de l’Homo Sapiens, c’était une idée pourrie. Génétiquement trop instable. Le service Créa avait prévenu dès le début. Ils préféraient de loin le projet Bonobo. Question score de paix, une vraie promenade ! Bonobo Sapiens, ça aurait signifié la résolution du moindre conflit par le sexe… Chantier pépère, en somme. Tu parles ! Les boss du 33e étage n’avaient rien voulu entendre. L’Homo Sapiens c’était parfait pour eux : audacieux, vendeur, et tellement sexy sur le papier. Sur le papier, peut-être, mais sur le Terrain… Parce que nous autres on est les techniciens, les larbins de la création… « Les Boueux », comme ils disent en haut lieu. Siècle après siècle on patauge dans ces eaux crapoteuses. Et chaque fois qu’on prend possession d’un corps ici-bas, on en paie le prix : coups de chaud, coups de froid, coups de pompe, coups de blues, coups de foudre, toute la chimie humaine s’impose à nous… Alors forcément, il arrive qu’on gaffe. Or notre récente bourde risque de coûter cher. Si on ne la rattrape pas très vite, l’humanité va droit dans le mur… Adieu, triple A. Adieu, Homo Sapiens. Et bonjour les sanctions.
HSN (L’Homme Sans Nom) – 3 juin 2021 (roman inédit – 316 pages – 19,90 euros)
Merci aux éditions de l’Homme Sans Nom pour ce SP.
D’autres lectures : Zoé prend la plume – CélineDanaë (Au pays des Cave Trolls) – Un bouquin sinon rien – Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile ?) –
2 réflexions sur “L’effet coccinelle, Yann BÉCU”