Quitter les monts d’Automne, Émilie QUERBALEC

Ancrant le début de son récit dans une société proche du Japon médiéval, Émilie Querbalec nous convie ensuite à un voyage fascinant à travers les étoiles et nos origines. Dans un texte d’une grande sensibilité et d’une remarquable richesse, elle nous entraine à la suite de Kaori, une jeune fille dont le destin semblait tout tracé. Mais rien ne va se dérouler comme prévu. Et les surprises vont aller croissant.

Un début réussi mais classique

Kaori est une jeune fille espiègle dont le destin est de devenir conteuse comme sa grand-mère. Elle attend, espère, le moment où elle obtiendra son Don : le Ravissement marque le passage d’une aspirante conteuse à une conteuse. Quand le Flux, cette entité qui régit l’ordre du monde, passe par ces femmes capables, alors, de raconter des histoires fascinantes, tirées non de leur esprit, mais d’une sorte de mémoire commune. Le phénomène est peu compris, mais il est reconnu pour sa valeur. Les conteuses sont très recherchées et les nobles et riches marchands se les arrachent pour animer leurs soirées et s’attirer ainsi l’admiration. Mais pour Kaori, dont la mère est morte voilà des années dans des circonstances mystérieuses, pas de Ravissement. Elle ne sera pas touchée par le Don. Elle se trouve donc obligée de changer de carrière. Dans la troupe avec laquelle elle vit, pas vraiment le choix. Elle sera danseuse. Elle a un certain talent pour cela. Mais pas assez de rigueur, selon sa professeure.

Mais des bouleversements… et pas qu’un peu !

Ce démarrage, aussi plaisant soit-il, et malgré certaines finesses et l’apparition de certains éléments de SF (le Flux et ses gardiens, les moines, aidés de machines inquiétantes et modernes, bien plus que le monde dans lequel vit Kaori), m’a semblé classique. Un peu trop pour m’accrocher aussitôt. Mais rapidement, les évènements s’accélèrent. Nous sommes en 13111 du calendrier A.S. Dans le futur donc, ce que nous découvrirons progressivement. Comme l’intégralité de l’univers créé par Émilie Querbalec. Un univers qui m’a surpris, après le départ situé dans un monde japonisant, donc. Mais qui m’a ravi. Car l’autrice n’hésite pas à secouer son fil chronologique (et son lecteur par la même occasion), sans que cela nuise à la narration. Les sauts dans le temps sont justifiés et passent très bien. Le Flux et les autres inventions sont réussies, car bien associées et forment un tout cohérent, qui explique pas mal de choses aperçues au début et justifient la conduite de Kaori.

Un personnage principal maltraité

En parlant de Kaori, Émilie Querbalec n’y va pas avec le dos de la cuillère. Elle fait subir à son héroïne un nombre de retournements de situation, un nombre de bouleversements et même un nombre de mauvais traitements assez impressionnant. Même si, dans le cours de l’histoire, ils sont justifiés, la liste est grande et ce qu’elle subit sur sa planète (attention, pour ceux qui n’ont rien lu à propos de ce roman – ce qui m’étonnerait, car il a été maintes fois lu et chroniqué – la suite est un spoil : elle va être violée dans la grande ville qu’elle découvre) est extrêmement rude et traumatisant. Elle est touchée dans sa chair et dans son esprit, et bien plus, dans son intégrité. Le parcours qui est le sien est un parcours total où elle se met en jeu entièrement, par choix ou non, selon les étapes, afin d’être reconstruite et prête pour la découverte finale. Elle est souvent manipulée, souvent l’objet de convoitises et de craintes, d’attentes et d’espoirs. Elle est souvent passive devant ce que lui réserve le destin (ou ceux qui savent, ceux qui possèdent, ceux qui dirigent). Mais aux moments clefs, aux moments où on lui en laisse l’occasion, aux moments où elle a un peu de pouvoir, elle sait affirmer son point de vue et ses décisions. Même si cela a des conséquences énormes sur elle et sur bien d’autres. Kaori devient ainsi un personnage fort et central, qui m’a agréablement changé de certaines héroïnes de littérature de SF young adult (ou non) stéréotypées, aux états d’âme bourrés de clichés et aux préoccupations trop prévisibles. Non, rien de cela ici. Rien qu’une jeune femme perdue souvent, mais lucide et pleine de courage et d’énergie, battante, utilisant ce qu’elle peut comme arme, pour comprendre et survivre.

De l’importance de l’écrit

Autre point qui m’a paru intéressant dans ce roman : la place de l’oral et de l’écrit. En effet, dans la société dont est originaire Kaori, l’écrit est totalement interdit. Posséder un texte et, pire encore, en produire un est passible de la peine de mort. Offerte par les moines et leurs affreuses machines. Après de nombreux interrogatoires douloureux. Tout passe donc par la mémoire. D’où l’importance des conteuses. Cela rappelle de nombreuses sociétés passées. Comme l’Egypte des pharaons, qui fait rêver, mais qui faisait de l’écrit une chasse gardée des puissants, protégé par la caste des scribes. Ou comme la Gaule antique (vous savez bien, nos ancêtres les Gaulois, chevelus et barbus) où l’écrit était d’une grande rareté, car le savoir était transmis de druide en druide, à l’oral, pour éviter que le peuple ne se l’approprie par erreur.

Ici, la raison de ce tabou va être expliquée dans la suite du roman. Et cela se tient parfaitement. Et cela fournit un point de départ mystérieux et, donc, stimulant. D’autant plus stimulant que la langue choisie est le japonais. Et que, pour moi en tout cas, cette langue est entourée d’une aura, sans doute liée à la civilisation qui l’a vue naître et qui me touche (dans ses périodes anciennes comme dans son présent, dans sa société comme dans son imaginaire).

Tous ces éléments font de Quitter les monts d’Automne un roman d’une force et d’une portée qui m’ont surpris, agréablement. Sa lecture a été plaisante et pleine de surprises, dépaysante et vertigineuse. Un très bon moment, sans hésitation !

Présentation de l’éditeur : Recueillie par sa grand-mère après la mort de ses parents, la jeune Kaori vit dans les monts d’Automne où elle se destine à être conteuse. Sur Tasai, comme partout dans les mondes du Flux, l’écriture est interdite. Seule la tradition du « Dit » fait vivre la mémoire de l’humanité. Mais le Dit se refuse à Kaori et la jeune fi lle se voit dirigée vers une carrière de danseuse.Lorsque sa grand-mère meurt, Kaori hérite d’un rouleau de calligraphie, objet tabou par excellence, dont la seule détention pourrait lui valoir une condamnation à mort. Pour percer les secrets de cet objet, mais aussi le mystère qui entoure la disparition de ses parents, elle devra quitter les monts d’Automne et rejoindre la capitale.Sa quête de vérité la mènera encore plus loin, très loin de chez elle. Débutant comme un roman initiatique d’inspiration japonaise, Quitter les monts d’Automne s’impose vite comme un récit d’aventure qui frappe d’abord par sa beauté et sa poésie, puis par sa cruauté et son érotisme subtil.

Albin Michel Imaginaire – 2 septembre 2020 (roman inédit –448 pages – 21,90 euros)

Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire et à Gilles Dumay pour ce SP.

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