Andrea Cort a du mal avec les autres humains. Pas seulement les humains, d’ailleurs. Avec les autres êtres vivants, terrestres ou extra-terrestres, humanoïdes ou non. Mais elle a des excuses. Suite à un dérèglement incontrôlé, une pulsion incomprise, elle a participé à un massacre alors qu’elle était encore enfant. Tous les habitants d’une colonie se sont massacrés. Elle a survécu. Passe encore. Mais elle retient de cette expérience traumatisante une donnée tout aussi traumatisante : elle a pris du plaisir au meurtre. Même si elle a a agi sans être réellement consciente de ce qu’elle faisait, elle a aimé ça. Difficile de vivre avec cette idée, ensuite !

Andrea Cort, une garce ?
Pourtant, c’est ce qu’elle fait. Mais en pensant sans cesse au suicide. Et son intégration (ou plutôt, son asservissement, car elle a été « achetée », en quelque sorte) au Corps Diplomatique, où on la cantonne, du moins au début, à des taches subalternes, sans réel pouvoir (de nuisance diraient certains), car on n’a aucune confiance en elle, n’est pas nécessairement gratifiante ou enrichissante. De plus, son attitude envers les autres n’aide pas. Elle ne se contente pas de fuir les relations, elle se montre souvent franchement hostile. Entre l’ignorance du comportement adéquat et le « rien à fiche », elle est particulièrement désagréable. Mais cela ne l’empêche pas d’être un atout précieux, tant sa capacité de raisonnement est remarquable. Elle sait mettre en place les différents indices là où d’autres ne voient que des éléments disparates. Elle est brillante. Mais invivable. Et très attachante.
Des races extra-terrestres hautes en couleurs
Andrea Cort n’est pas seule, loin de là. Adam-Troy Castro a choisi d’emplir son univers de plusieurs peuples, tous très différents les uns des autres. Outre les homsaps (homo sapiens, en toute modestie), on trouve les Riirgaan, les Tchi, les Busteeni et les IA-source. Pour les principaux, car d’autres, plus modestes, parsèment les galaxies. Cela rappelle les bonnes heures des séries (livresques, cinématographiques ou télévisuelles), avec des galeries baroques, mais pas ridicules, dont on imagine qu’elles feraient le bonheur de responsables des costumes et des effets spéciaux. Et ce qui est valable pour le physique des E.T. l’est tout autant pour le caractère et la structure de leurs sociétés. Mais l’auteur évite le manichéisme bas de gamme : le vilain peuple qui n’aime pas les humains versus l’humanité bercée par ses idéaux. On en est loin. Tout d’abord, les différents textes mettent en scène des humains criminels. Et, en plus, les extra-terrestres eux-mêmes ne présentent pas nécessairement un front uni face à l’adversité. Des fractures se forment dans leurs opinions, des factions prennent de l’importance et poussent à certaines actions. Adam-Troy Castro s’est donc offert un univers bien peuplé et de bien belle façon, ce qui lui permet de mettre en scène des situations multiples et variées. Une chance pour le lecteur.
De la nouvelle au roman
Ce gros pavé est composé de cinq textes : quatre nouvelles et un roman éponyme. Les textes ont été placés dans l’ordre chronologique de l’histoire d’Andrea Cort, pas dans l’ordre d’écriture. Et c’est totalement justifié. On trouve donc : « Avec du sang sur les mains » (« With Unclean Hands » – 2011), « Une défense infaillible » (« Tasha’s Fail-Safe » – 2015), « Les lâches n’ont pas de secret » (« The Coward’s Option » – 2016), « Démons invisibles » (« Unseen Demons » – 2002) et le roman Émissaires des morts (« Emissaries from the dead » – 2008). L’éditeur aurait pu faire deux volumes (qui auraient donc été moins chers, pour chacun d’entre eux à l’achat, mais plus cher au total). Il a préféré tout réunir en un gros livre. Et, à la lecture, c’est totalement justifié.
Même si, après avoir lu (et dévoré) les quatre nouvelles de cet ouvrage, j’étais un peu inquiet pour le roman, assez long, tant j’avais trouvé Adam-Troy Castro à l’aise dans le format court. Celui-ci lui permettait de présenter le monde où allait se situer l’action, de nous donner les éléments principaux de la situation, de l’enquête, et d’embrayer rapidement sur la résolution victorieuse, mais souvent douloureuse, d’Andrea. Mais mon appréhension était sans fondement. L’auteur manie aussi bien les formes courtes que les formes longues. Le roman lui permet de nous entrainer dans une histoire haletante et diablement bien ficelée, tout en faisant avancer considérablement le récit d’Andrea Cort. Et, à la différence de certains auteurs hélas prolixes, Adam-Troy Castro ne nous fait pas perdre notre temps. Les pages sont bien remplies et les intrigues, mêlées, suffisamment bien foutues pour que l’attente de leur résolution occupe. Pas d’ennui, pas d’impression de lassitude, ni de sentiment de redite vaine.
Des enquêtes précises et haletantes
Car comme dans tout bon récit judiciaire à l’américaine, l’enquêtrice (Andrea Cort) se doit de faire toute la lumière sur la situation qui lui est confiée. Afin d’arranger au mieux les tensions diplomatiques créées pas un individu accusé d’actions violentes et, souvent, immorales. Et c’est là qu’intervient le « plus » de ces récits. Il faut tenir compte des différentes coutumes et autres mœurs des espèces incriminées. Tous les extra-terrestres ne réagissent pas de la même façon aux mêmes évènements. Andrea doit les comprendre et les intégrer à ses déductions. Pour cela, elle utilise son esprit de déduction qui fait sa réputation. À juste titre. Car elle finit toujours par comprendre le fin mot de l’histoire, pour notre plus grand bonheur. Et parfois, ce n’est pas simple. D’ailleurs, pour ménager le suspens, l’auteur use de ce truc qui finit parfois par agacer (comme dans les romans d’Asimov ou le héros avait la solution à portée de son esprit mais n’arrivait pas à l’atteindre, et ce, jusqu’à la fin du récit) : Andrea sent que la réponse est proche, mais il lui manque un petit quelque chose. Et nous voilà, lecteur désolé, obligé d’attendre encore. Mais cela ne fait qu’attiser notre plaisir et notre désir de découvrir le dénouement. Il y aurait encore beaucoup à dire tant le travail d’Adam-Troy Castro de développe dans de multiples directions. Mais il est temps de laisser là le clavier.
Ouaouh ! C’est un peu court jeune homme, mais cela résume bien mon sentiment après la lecture de cet épais volume. Je ne connaissais pas du tout l’auteur ni son héroïne et je suis donc entré dans ce livre sans a priori. Mais j’en ressors totalement accroc. Andrea Cort est un personnage d’une présence, d’une force phénoménales. Et les aventures dans lesquelles elle se débat sont passionnantes de bout en bout. Pour finir, merveilleuse nouvelle pour moi, le deuxième tome, La troisième griffe de Dieu, vient de paraître. Vu la fin du précédent, je ne vais pas tarder à me jeter dessus pour découvrir ce qu’Adam-Troy Castro a bien pu réserver à cette femme au parcours si original.
Présentation de l’éditeur : Un space opera coup-de-poing situé dans un futur lointain, celui du Système Mercantile, où le racisme, la guerre, l’esclavagisme et la corruption n’ont pas pris fin, bien au contraire. Quand elle avait huit ans, Andrea Cort a été témoin d’un génocide. Pis, après avoir vu ses parents massacrés, elle a rendu coup pour coup. En punition de ses crimes, elle est devenue la propriété perpétuelle du Corps diplomatique. Où, les années passant, elle a embrassé la carrière d’avocate, puis d’enquêtrice pour le bureau du procureur. Envoyée dans un habitat artificiel aussi inhospitalier qu’isolé, où deux meurtres viennent d’être commis, la jeune femme doit résoudre l’affaire sans créer d’incident diplomatique avec les intelligences artificielles propriétaires des lieux. Pour ses supérieurs, peu importe quel coupable sera désigné. Mais les leçons qu’Andrea a apprises enfant ont forgé l’adulte qu’elle est devenue : une femme pour le moins inflexible, qui ne vit que pour une chose, « combattre les monstres ».
Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire pour ce SP numérique.
D’autres lectures : Apophis (les nouvelles et le roman en V.O.), Lutin (Avec du sang sur les mains, Une défense infaillible, le roman ), Stéphanie Chaptal, Just a Word, Célinedana (nouvelles et roman), le Maki (nouvelles et roman), François Schnebelen, FeydRautha (nouvelles et roman), Yuyine, Artemus Dada, Les pipelettes, La Geekosophe, Lorkhan, Ombre Bones (nouvelles et roman), Lune, le Chien critique, Xapur (nouvelles et roman), Philémont, Numerama, Blogger in fabula, le Bibliocosme, Un bouquin sinon rien, Les blablas de Tachan, Diaspora galactique (nouvelles et roman), Fourbis et têtologie, Soleil vert, Brize, Liseuse en série, Chut maman lit, Shaya, Herbefol, Carnets lunaires,
Il faut mettre en avant ce titre exceptionnel. Faire decouvrir l’heroine atypique. Un roman intelligent et fascinant.
Je ne vais pas tarder à lire le deuxième opus.
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Tout à fait.
De mon côté, je viens d’entamer la lecture de ce deuxième opus. Et c’est très bon aussi. Quoique de façon différente.
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