
(roman paru initialement dans la NRF en février 2006 – 263 pages)
Présentation de l’éditeur : «Une femme se retourne et nous fait signe de nous taire, une femme un peu moche et pas du tout dans le chagrin. Ça devient vraiment n’importe quoi ces enterrements.»
À force de courir les funérailles, le narrateur est devenu un expert en la matière. Mais à bien regarder l’assistance, il semblerait qu’il ne soit pas le seul…
Un premier roman qui révèle l’univers déjanté de Fabrice Caro, dans la lignée de sa bande dessinée Zaï zaï zaï zaï.
Mon avis : Le narrateur passe tout son temps libre à courir d’un enterrement à un autre. Il aime l’ambiance, il juge les prestations du prêtre, de la famille, des amis comme s’il était critique de cinéma. Il ne donne pas de notes, mais évalue la qualité des silences, la force des paroles, la puissance des gestes. Le soir, il va dîner chez un couple d’amis, Julien et Claire. Cinq soirs par semaine. Il est, pour reprendre ses termes, une sorte de « parasite » (grande tradition, que celle des parasites, qui remonte au moins aux Romains, comme on peut le découvrir chez Juvénal dans ses Satires ou Plaute… mais je m’égare). Mais l’arrangement semble convenir à tout le monde. Chaque semaine, il va déjeuner chez ses parents, où il retrouve son frère. Autant le narrateur paraît médiocre et mener une vie ratée, autant son petit frère (d’un an, un accident, donc) est brillant et a tout réussi dans l’existence. Lui a un vrai métier (il ne tente pas misérablement d’écrire une pièce de théâtre sans dépasser la première scène), lui a une copine merveilleuse, lui a un grand sens de la répartie. Bref, le narrateur mène ce que certains oseraient qualifier de vie de m… Mais un jour, à un enterrement, un membre de l’assemblée lui fait un signe. Et rebelote à un autre enterrement. Comme s’ils se connaissaient. Le narrateur finit par le confronter et ce drôle de bonhomme lui fait une révélation fracassante.
Évidemment, donner un indice sur ce qu’apprend le narrateur serait en partie gâcher le plaisir. Car le lecteur découvre, avec le narrateur, l’ampleur de la tromperie. Avec lui, il hésite devant le gigantisme de ce qui est suggéré. Avec lui, il est perdu. Donc, je vais me contenter d’expliquer pourquoi ce roman a été pour moi une très bonne surprise. Folio a bien fait d’enfin rééditer cette œuvre, et peu de temps avant l’été, car Figurec correspond parfaitement à ce que j’attends d’une lecture lors de ces vacances. Prenante : dès les premières pages, je n’ai eu qu’une envie, continuer. Fabrice Caro sait ouvrir des portes et des pistes, susciter la curiosité, sans trop en dire d’un coup. De plus, les chapitres sont très courts, facilitant le : « Il est tard, mais je peux encore en lire encore un petit.. et un autre… ». Bien construite : la structure du roman est efficace et, dans l’ensemble, le rythme va crescendo. De temps en temps, l’auteur intercale une version du début imaginé de la pièce de théâtre censée être écrite par le narrateur : les mêmes deux personnages, le même début d’intrigue. Le décor change, le ton général aussi. Mais rien de plus. Et cela n’avance pas. Petit clin d’œil à la difficulté pour l’écrivain de dépasser la première page, d’aller au-delà de l’idée « géniale ». Et par sa répétition dans le roman, rappel permanent de la médiocrité du personnage, qui ne parvient pas à dépasser le stade du rêve.
Le personnage, justement, parlons-en : il est réussi car très proche de nous, très humain. Il a une vie plus que moyenne, ne s’en satisfait pas, mais ne fait pas grand-chose pour en sortir. Il a ses mesquineries, comme tout le monde : jalousie envers son entourage, fantasmes (plutôt tordus) sur sa belle-sœur. Il garde une certaine lucidité sur sa situation. D’où les commentaires ironiques et donc amusants pour le lecteur.
Figurec fait partie de ces romans francophones que j’apprécie parce qu’ils savent, en partant d’une situation réaliste, puis en suivant une idée plus ou moins fantasque, entraîner le lecteur dans un grand délire savamment orchestré (car je déteste, par contre, quand cela devient un grand n’importe quoi). Dans le même genre de récits, Bernard Quiriny, lui aussi, a su me faire voyager dans son imaginaire, proche de Vila-Matas.
Ce roman a donc été pour moi une très bonne surprise, d’autant que le bandeau « Par l’auteur de Zaï zaï zaï zaï » m’effrayait plus qu’autre chose, ne connaissant pas cette BD. Et que la quatrième de couverture est plutôt chiche en renseignements. En tout cas, ce fut un bon moment pour moi, qui me donne envie de découvrir l’autre ouvrage de Fabrice Caro et même ses BD.
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